Doi: https://doi.org/10.17398/2340-4256.15.333
Cervantès et Suárez.
Incarnation de l’âme et spiritualisation du corps. L’humain en débat
Cervantes and Suárez.
Incarnation of the soul and spiritualization of the body. The human in debate
Jean Paul Coujou
Institut
Michel Villey, Paris
Recibido:
19/07/2019 Aceptado: 23/09/2019
Resumen
Pour Cervantès (1547−1616) et
Suárez (1548−1617), comprendre ce qui constitue l’homme comme tel, par la
création romanesque ou l’analyse philosophique, suppose d’expliciter : 1°) le
cadre physiologique permettant une classification psychologique des hommes,
articulée à une théorie des passions. 2°) Dans l’œuvre de Suárez, il faut
centrer la recherche sur l’âme rationnelle comme entité spirituelle
indépendante de la matière, et caractérisée par sa puissance intellective et
son vouloir. 3°) Chez Cervantès, le genre romanesque au moyen de l’imagination
ouvre la voie à une interrogation renouvelée sur ce qui est cause de la pensée
et origine de notre représentation du monde.
Palabras clave: âme, cerveau, corps, éthique, folie, humeurs, imagination, libre
arbiter, matière, physiologie,
psychologie, roman, vie, volonté.
Abstract
For Cervantes (1547−1616) and Suárez (1548−1617),
to understand what constitutes man as such, by novelistic creation or
philosophical analysis, supposes to explicit: 1°) physiologic’ scope allowing a
psychological classification of men, linked to a theory of passions. 2°) In
Suarez’s work, it’s necessary to focus the investigation about rational soul as
a spiritual entity independent of matter and characterized by it intellective
power and it will. 3°) In Cervantes, the novelistic style by means of imagination
shows the way to a new interrogation about the cause of thought and the origin
of our word’ representation.
Keywords: brain, body, brain, ethics, free will, imagination, life, madness,
matter, mood, novel, physiology, psychology, soul, will.
Cervantès (1547−1616) et Suárez
(1548−1617) représentent par leur œuvre deux figures emblématiques
contemporaines du Siècle d’Or[1] ; elles ont la
particularité de se situer au commencement du basculement de la période de
l’apogée sous Charles Quint de la domination militaire et économique espagnole
au XVIe siècle vers l’amorce d’un lent déclin de l’empire, à partir
de la mort de Philippe II, en 1598. Ce basculement, qu’il soit traduit de
manière littéraire au moyen de la puissance romanesque du Quichotte[2] par l’évocation d’un monde qui
finit – celui de l’héroïsme et des valeurs de la chevalerie – marqué par le
désenchantement, la désillusion (desengaño) ou analysé
philosophiquement, juridiquement et théologiquement, par l’œuvre encyclopédique
de Suárez, confronte son observateur aux contradictions historiques de ce
siècle. En effet, au moment même où l’on assiste à l’ouverture de l’économie
sur le monde[3], au problème aigu de la
stabilisation monétaire et conjointement à la crise de l’appareil d’État et à
l’émergence européenne de ce dernier, la société espagnole est ébranlée par le
refus de la Réforme, placée face à la perte d’autorité des ordres religieux, à
l’équilibre problématique des forces européennes, ainsi qu’aux revendications
nationalistes.
Cervantès et Suárez, dans ce
renouvellement des conditions matérielles d’existence et de l’univers de la
pensée où l’humanité s’apparaît à elle-même comme créée et créatrice − tout en
étant lucide sur ses propres limites − reprennent en charge respectivement, soit
par l’invention romanesque, soit par la controverse métaphysique, les mutations
liées à ces moments de crise : la décomposition de l’héritage
aristotélicien et le remodelage de l’orientation de la théorie de la
connaissance, le bouleversement du rapport du fini à l’infini, le décentrement
progressif de l’humain dans un monde reconfiguré par les découvertes par voies
maritimes et les théories astronomiques[4], marqué par
l’incertitude et l’angoisse de la délimitation de l’espace, impliquant un
renouvellement de la compréhension de l’homme comme force créatrice à partir de
l’analyse critique de ses facultés, à savoir l’entendement, l’imagination, la
volonté, la mémoire et les appétits[5].
Dès lors, dans le cadre d’une
anthropologie naissante dans laquelle il convient de déterminer l’origine, la
fonction et la composition des facultés humaines, le corps doit être envisagé
non seulement selon la perspective d’une réalité vivante, mais également selon
celle d’un corps humain, marque de l’être incarné de l’homme qui nous est donné
de manière contingente, à la fois comme une nature et une sphère autonome.
L’imagination débridée du Quichotte confirme, en ce sens, la compréhension de
l’homme comme sujet incarné, les éléments de la réalité lui étant attribués
sous des perspectives s’orientant à partir de son propre corps et de la théorie
des humeurs héritée de la médecine grecque, qui s’y rattache. L’homme de
Cervantès est un être de chair et de sang, un être réel et incarné, dont
l’action confirme la liaison inextricable entre la conscience et le
corps ; ainsi, la puissance à la fois aliénante (celle de la déraison du
Quichotte) et libératrice (celle de la création romanesque) de l’imagination,
indice de la complexité de ce lien, renvoie le corps à la sphère d’existence
correspondant à une préfiguration de la subjectivité elle-même, c’est-à-dire à
une sphère d’immanence à laquelle on ne peut échapper, celle d’exister dans et
par la matérialité.
En conformité avec l’usage
raisonnable des facultés mentionnées, l’homme persévère dans son être propre,
sans pour autant excéder les limites de sa nature humaine, tout en manifestant
le sceau du divin selon les bornes qui lui sont imparties. Ainsi, la nature
confirme en l’homme l’opposition de forces contradictoires, la raison et
l’imagination, en tant qu’expressions distinctes du pouvoir créateur humain, à
savoir la science et l’art. Quant à la volonté, elle s’affirme dans son
humanité dans la mesure où elle excède les fins qu’elle se propose
initialement, comme le montre le devenir historique. Si, pour Cervantès comme
pour Suárez, toute existence tend à persévérer dans son être[6], l’homme ne saurait pour autant
se satisfaire de ce qu’il vient d’atteindre, ni identifier le temps au repos,
ni se contenter de son séjour actuel dans le monde ; c’est précisément ce
qui s’exprime dans l’héroïsme dérisoire du Quichotte ou dans le désir de
connaissance métaphysique, de perfectionnement éthique et de progrès juridique
et politique dans l’œuvre de Suárez.
Il appartient ainsi à l’homme, dans
le De anima de Suárez et dans la représentation de l’humain qu’implique
le romanesque chez Cervantès, de s’expliciter lui-même, de devenir pour
lui-même un miroir, sans être assujetti à l’imitation de la réalité extérieure,
mais de s’y reconnaître dans l’usage qu’il en produit, la connaissance
s’affirmant comme une orientation déterminée de la pratique intellectuelle dont
il convient désormais de comprendre l’origine et le fonctionnement. L’ouvrage
de Huarte de San Juan publié en 1575, l’Examen des esprits[7], s’avère décisif dans une telle
recherche, pour nos deux auteurs − qu’il soit source d’inspiration ou de rejet
par les thèses matérialistes qu’il suscite − à partir de son exposition sur les
puissances de l’âme rationnelle, à savoir la mémoire, l’imagination et
l’entendement. En effet, pour comprendre l’origine de l’homme et la nature
humaine, il faut définir par la médecine et la psychologie, les aptitudes des
individus en fonction de leur tempérament, de telle sorte que, dans leur
formation, les disciplines les mieux appropriées à l’individualité de chacun
(les sciences ou les arts) soient en mesure d’être acquises et d’être
pratiquées en adéquation avec son génie spécifique (ingenio).
Ces interrogations s’enracinent
dans la sphère de la philosophie naturelle qui rend raison des faits selon des
lois instituées par le Créateur dans la nature. Dans cette perspective, Dieu,
cause première de tout ce qui existe, a voulu qu’il y ait des lois naturelles
pour le bon ordonnancement du monde. Ainsi, après la physique se donnant pour
objet les substances sensibles intelligibles à partir de la quantité et du
mouvement, il faut reconnaître une différence entre les substances sensibles
qui sont inanimées et celles qui sont animées[8]. Dès lors, toute philosophie
naturelle ne peut trouver son achèvement qu’en examinant les étants naturels
qui possèdent la vie. Elle s’impose, à partir de là, comme une science de l’âme
qui mène à son terme, dans l’étude du vivant, le processus de hiérarchisation
entre l’ordre du végétal, de l’animal et de l’humain[9]. Or, la connaissance de
l’âme, comme le montre au XVIe siècle l’insistance sur le rapport à
la naturalité qui a également des implications éthiques, ainsi que le révèle la
manière d’appréhender et de percevoir la loi naturelle, s’avère indissociable
d’une connaissance du corps organique, tout comme il apparaît clairement que ce
dernier ne peut être connu sans l’âme.
Comprendre ce qui constitue
l’homme comme tel et déterminer à quelle science il revient de l’examiner,
suppose chez Cervantès et Suárez, d’expliciter : 1°) le cadre
physiologique permettant une classification psychologique des hommes articulée
à une théorie des passions. 2°) Pour Suárez, il faut centrer la recherche sur
l’âme rationnelle comme entité spirituelle indépendante dans son être de la
matière[10], et caractérisée par sa
puissance intellective et son vouloir. L’âme est la forme du corps et principe
des opérations de ce dernier, elle produit une intellection en dépendance avec
les sens. Dès lors, conformément à l’héritage aristotélicien, selon le premier
point, la connaissance de l’âme revient à la métaphysique, alors que selon le
deuxième point, elle doit être rattachée à la physique. Il faut en conclure que
l’âme rationnelle est la forme de l’homme lui-même en tant qu’il est rationnel[11], ce qui revient à dire que ses
propriétés et ses opérations dépendent de la sphère naturelle et que
« l’homme est un étant naturel. »[12] 3°) Pour Cervantès, le genre
romanesque est au cœur même de l’émergence d’une interrogation renouvelée sur
ce qui est cause de la pensée et origine de notre représentation du monde.
L’invention romanesque constitue le détour par lequel une voie est ouverte à un
questionnement sur ce qui se produit dans l’esprit humain quand le monde devient
pour lui image, ou quand il se redouble lui-même dans l’acte de réflexion. Il
s’agit de savoir dans quelle mesure le corps conditionne ou même, fait être,
les facultés cognitives.
La compréhension de l’humain
s’avère par conséquent indissociable des liens pouvant être établis entre l’âme
et le corps, toute la difficulté résidant dans la détermination de la nature
d’une telle articulation. L’enjeu est double. Il concerne la possibilité de
l’individuation et de l’unicité de chaque être humain, c’est-à-dire de la
possibilité d’une conciliation entre l’exigence de l’universalité de l’humain
et la reconnaissance de sa pluralité, dont il s’agit de savoir si elle n’a que
l’âme pour cause. Il est également éthique, ainsi que le montre chez Cervantès
le rapport de l’intellect à la loi naturelle ou, chez Suárez, la fonction
directrice revendiquée d’une science de l’âme pour les sciences morales, ces
dernières ayant pour objet les habitus, les facultés humaines et les
actions de l’âme ainsi que sa félicité[13].
I. Le corps éprouvé et la puissance du sentir
Afin de comprendre le rapport
immédiat que l’individu peut avoir avec lui-même, il convient pour Suárez de se
référer au sens intérieur[14]. Ce dernier correspond à
une faculté intérieure à l’origine de la connaissance des objets extérieurs,
visés par notre perception (vision, ouïe, goût, toucher, odorat) et permettant
leur différenciation. Il met en œuvre des activités distinctes de celles des
cinq sens, l’imagination, la mémoire, la réminiscence, le jugement, la pensée.
L’âme humaine qui, dans ses aptitudes et facultés, est finie et limitée[15], se caractérise, par conséquent,
par un acte de discernement qui est commun à tout individu. En l’absence de
sens commun, il serait impossible à nos sens, quels qu’ils soient, de procéder
à une quelconque synthèse, d’articuler les données sensitives et de les
différencier pour produire une représentation stable et unifiée du réel. Une
telle faculté s’impose alors par sa supériorité et sa plus grande perfection,
précisément parce qu’elle a pour objet l’universel et qu’elle unifie
potentiellement en elle les opérations des sens externes.
Or, cet organe du sens interne a
pour Suárez son siège dans le cerveau conformément aux thèses de Galien et
d’Hippocrate[16]. Ainsi, nous faisons
l’expérience que notre imagination et notre aptitude à engendrer des images
n’ont pas d’autre origine que notre cerveau, les altérations de nos sens ont
pour cause une lésion de ce dernier, les céphalées pouvant modifier notre
vision et les rêves comme manifestations débridées de notre imagination sont
les exemples emblématiques de notre activité cérébrale[17]. Dès lors, du point de vue
anatomique, il y a trois parties dans le cerveau. La première correspond à
l’organe du sens commun et de l’imagination, la deuxième à celui de la
production de la pensée, enfin, la troisième à celui de la mémoire[18]. Une lésion de l’organe du sens
interne entraîne un dérèglement de son activité ; il peut précisément en
résulter la démence[19]. Il existe en ce sens
trois causes à la déraison, 1°) l’erreur résultant de la connaissance par un
sens externe amenant à voir ce qui n’est pas ou ce que l’on désirerait être,
qui a pour origine une lésion dans une partie du cerveau ; cela a pour
effet de perturber la puissance sensitive dérivant du sens commun. 2°)
L’errance du jugement ou de la raison résultant de l’affaiblissement de la
partie centrale du cerveau. 3°) La troisième cause réside dans une perturbation
de la mémoire correspondant à l’affaiblissement de la dernière région du cerveau.
La lésion de l’ensemble des parties du cerveau a pour conséquence extrême, la
frénésie[20]. Cette dernière porte
une vérité sur le rapport énigmatique de l’âme au corps et la relation que
l’homme établit avec lui-même. Elle révèle que l’expérience contradictoire que
l’homme fait de lui-même ne peut être soustraite de ce qui constitue l’humain.
Relativement à cette orientation,
la déraison est par conséquent un phénomène global affectant à la fois par le
pouvoir de l’imagination et du délire pouvant en résulter, l’âme et le
corps ; elle pose dès lors le problème des limites de l’usage du libre
arbitre tout en confrontant, comme le montre précisément le Quichotte à ce qui
échappe à l’ordre du moralisable, à savoir le lien de la raison à la déraison.
Comment rendre compte de l’autre absolu qui est l’insensé ? Faut-il dire
que la folie du Quichotte correspond à un solipsisme de la raison et non à une
absence de raison puisque le héros de Cervantès reconstruit le monde par sa
seule raison ?
La Renaissance y répond, par
exemple, sur le mode ironique et satirique, notamment avec l’Éloge de la
folie (1511) d’Érasme[21] ; avec la folie, la
raison se reconnaît dans son autre qui garantit son être et elle est renvoyée
en miroir dans la confrontation à sa propre altérité, à ses propres limites en
étant dépossédée d’elle-même. La folie investit nécessairement le monde de sa
dimension irrationnelle en faisant s’interroger la raison sur sa prétendue
sagesse et sur sa propre ignorance qu’elle ne peut dissimuler. Dès lors, le
sens d’être de la raison ne saurait faire l’économie de son renvoi à ce qui
l’excède, le déraisonnable et l’irrationnel. La raison, pour fonder sa propre
valeur, est ainsi amenée à une valorisation, certes négative, de ce qui est
posé comme radicalement autre. Le débat résultant du rapport raison/déraison
devient la manifestation même de l’usage que l’homme peut faire de sa liberté
dans son entreprise de détermination de ce qu’il est. Dans quelle mesure, au
regard de la définition traditionnelle de l’homme comme être rationnel, peut-on
dire que la déraison exprime un processus aliénant la nature et la soumettant à
son conditionnement ?
En rapportant le personnage du
Quichotte à l’analyse anthropologique proposée par Suárez, on peut apporter un
éclaircissement à ces interrogations. Les dérèglements de l’imagination
rappellent pour Cervantès, à la suite de Huarte de San Juan, que l’on ne peut
assujettir les puissances de l’âme à l’âme rationnelle, sans les référer au
corps qui en permet la manifestation. Il existe deux orientations
possibles : celle des philosophes moralistes et des théologiens
considérant les vertus comme des habitus spirituels soumis à l’âme
rationnelle et rendant compte de l’imagination, tout en condamnant ses excès.
La deuxième, à partir de l’héritage d’Hippocrate[22] et de Galien, se réfère à une
théorie des humeurs inscrite dans un cadre physiologique impliquant une
homologie entre l’ordre du corps et l’ordre du monde. Dès lors, situer les
vertus en l’âme et non en ce qui en rend effective l’extériorisation, à savoir
le corps, est illusoire. Par conséquent, toutes les vertus de l’âme
rationnelle, la prudence, la justice, le courage et la tempérance, ainsi que
les vices qui leur correspondent, dépendent de leur articulation au corps comme
instrument naturel de leur expression ; les vices seront par là même
indissociables d’une pathologie et d’une thérapeutique[23]. Si l’âme en tant que substance
spirituelle semble se suffire à elle-même, elle n’en requiert pas moins le
corps pour manifester ses productions, et c’est par la nature d’un tel
instrument que l’on peut déterminer la qualité de ces dernières. L’agir humain
est d’autant plus conforme à l’être qui y préside lorsque la loi du corps et de
l’âme convergent vers une exigence commune. Non seulement la physiologie et la
médecine permettent de mieux comprendre l’origine et la formation des vices et
des vertus, mais elles contribuent également à incliner l’existence vers la
rectitude.
Il faut donc développer une
théorie de la nature humaine physique impliquant, d’une part, que le corps
humain n’est pas constitué d’une seule substance et que, d’autre part, l’homme
ne peut être conçu comme un car, dans cette éventualité, il n’y aurait qu’une
maladie et qu’un remède[24]. Ainsi, conformément à
cet héritage, pour Cervantès, le corps humain produit ses effets en adéquation
avec les quatre éléments évoqués par Hippocrate, (l’eau, l’air, la terre et le
feu) exprimant quatre qualités physiques (l’humide, le sec, le froid, le
chaud). Il est composé de quatre humeurs circulant en permanence : le
sang, la pituite (phlegme), la bile jaune et la bile noire (atrabile) dont la
variation des flux selon la saison conditionne l’équilibre corporel et la santé[25]. Cette détermination
physiologique a une conséquence anthropologique et psychologique puisque, à la
manière de la tripartition platonicienne de l’âme, elle induit une
classification des individus selon quatre tempéraments différents découlant de
la primauté de telle ou telle humeur. Cependant, « si les grands
philosophes comme Hippocrate, Platon et Aristote, ramènent les productions du
vivant « à la chaleur, au froid, à l’humidité, à la sécheresse »,
« ils prennent cela comme premier principe sans aller plus loin. »[26]
Il en résulte, par différence à
cet héritage, une modification de la compréhension de la sagesse étant donné
qu’au regard de ce constat, nul homme n’est en mesure d’expérimenter un parfait
équilibre dans le flux de ces humeurs. Comment prétendre dès lors viser un
juste milieu à la fois dans le sentiment et dans l’action ? En effet, le
dérèglement dans la répartition des humeurs et la contingence de leurs
variations constitue la règle ; l’infini de ces variations est ce qui rend
raison de l’individualisation humaine, la proportion entre ces humeurs ne
pouvant jamais être parfaitement équivalente selon les sujets. Tant pour
Cervantès que pour Suárez, il s’agit de s’écarter de la conception ascétique,
manichéenne, condamnant l’ensemble des impulsions naturelles. Il convient
également de se demander dans quelle mesure il est légitime d’adhérer à la
conception naturaliste soustrayant ces impulsions à toute critique, en les
érigeant en principes directeurs de l’existence. Y a-t-il pour les humeurs un
degré convenable, un moment, une manière et un objet adéquats ? Comment
concevoir la sagesse si l’homme ne peut plus prétendre être pour lui-même la
droite règle étant donné qu’il y a quelque chose en lui qui n’est pas de lui,
et qui pose précisément la question de la maîtrise et des limites de l’usage de
son libre arbitre ?
Cervantès procède, à la suite de
Huarte de San Juan, à une typologie des tempéraments qui n’est pas sans
conséquences dans la manière d’envisager les rapports politiques entre les
hommes. Ces relations sont également tributaires des facultés spécifiquement
humaines permettant de connaître trois ordres différents de temporalité :
« la mémoire pour le passé, les sens pour le présent, l’imagination et
l’entendement pour l’avenir. »[27] L’humain s’exprimerait
ainsi à partir de quatre modes d’être : 1°) le tempérament sanguin
induisant un caractère concupiscent et tendant au plaisir, est focalisé sur le
présent, 2°) le tempérament colérique impliquant énergie et propension à se
battre, est également déterminé par le présent, 3°) le tempérament flegmatique
apte à faire sereinement l’épreuve de l’adversité, est centré sur l’avenir, 4°)
le tempérament mélancolique à l’origine de la tristesse et de l’angoisse mais
porté à la création, est focalisé sur le passé et l’avenir.
Il en résulte l’élaboration d’une
théorie psycho-physiologique selon laquelle les opérations de l’esprit sont
soumises à un conditionnement physique. Ainsi, la complexion physique de don
Quichotte, sa sécheresse et sa maigreur sont autant d’indices des futurs
emportements dont il pourra faire preuve, le climat torride de la Castille en
été ne faisant qu’amplifier, comme le traduit Cervantès de manière ironique, le
phénomène d’un excès des humeurs chaudes dans le corps et l’esprit. Don
Quichotte synthétise, en ce sens, de manière emblématique, l’origine
contradictoire du tempérament de l’hidalgo ou gentilhomme, car il est celui qui
incarne deux types de naissance. La première naturelle, égalisant tous les
hommes ; la deuxième qui est une renaissance lorsqu’on accomplit une action
héroïque. Par son agir, il se dépouille de l’être qu’il avait précédemment.
Cependant, pour le Quichotte, le principe d’action n’est autre que le pouvoir
aliénant de la fiction.
Suárez essaie, en ce qui le
concerne, de rendre compte d’une telle manifestation d’images délirantes dans
la frénésie et les hallucinations, en prenant l’exemple, chez les malades, de
la vision de monstres qui ne sont pas réellement perçus, bien que le sujet
n’ait aucune lésion oculaire[28]. Même si celui qui est
en proie à un tel délire ferme les yeux, il ne cesse pas pour autant de
continuer à souffrir de dérèglements identiques[29]. Si la cause n’est pas
physiologique, comment expliquer le phénomène ? L’énergie des sens émane
du sens interne vers les sens externes ; or, le sens interne peut varier
dans son ordonnancement, alors même que les organes des sens externes ne sont
nullement affectés. Suárez répondrait en ce sens à Cervantès que dans le cas
des hallucinations de don Quichotte qui identifie, par exemple, les moulins à
des géants ou un troupeau de moutons à une armée, c’est précisément le sens
interne qui est sujet à un dérèglement[30]. Il faut alors en
conclure que l’origine d’une telle perturbation ne réside pas dans le sens
externe, mais bien dans un pouvoir spécifique qui est promu comme faculté,
l’imagination, dont il convient de redéfinir le statut dans une problématique
élargie des facultés de l’âme.
II. Nécessité et contradiction de l’incarnation.
L’imagination, puissance énigmatique de l’âme et de la manifestation de la vie
Ainsi que le montre en filigrane
la lecture de l’œuvre de Cervantès et Suárez, Huarte de San Juan a le mérite
d’inaugurer un renouvellement de l’interrogation sur les actions spécifiques de
l’âme rationnelle à partir des implications de sa théorie psycho-physiologique.
L’humain se définit par les trois facultés de l’âme suivantes :
l’entendement, la mémoire et l’imagination ; cette tripartition
s’accompagne de la mise en retrait de la volonté et d’une dévalorisation de
l’aptitude de l’esprit à imposer son pouvoir de décision. Huarte de San Juan se
démarque, par là même, de la classification des facultés de l’âme héritée du
thomisme[31], tout en reconnaissant
que les passions sont constitutives de l’homme compris comme unité de l’âme et
du corps. Selon l’héritage de la scolastique, pour Thomas d’Aquin, la mémoire
sensitive et l’imagination (qui n’est pas distinguée de la fantaisie)
représentent des puissances de l’âme sensitive et organique, alors que
l’entendement agent, l’entendement possible et la volonté ou l’appétit élicite
rationnel, sont des puissances intellectives et inorganiques. Si l’homme, en
tant que vivant, est affecté par les passions de l’appétit sensitif, parce
qu’il possède la raison, il maîtrise cet appétit et ses passions par la liberté
de ses jugements. L’affectivité humaine, parce qu’elle est susceptible de se
conformer à la raison, participe par conséquent de la liberté.
L’enjeu pour Huarte de San Juan
consiste à se demander dans quelle mesure il est possible de réduire
l’entendement à une puissance organique, interrogation à laquelle sont
précisément confrontés Cervantès et Suárez. Tout se passe comme si la voie
était ouverte pour basculer d’une problématique de la relation du corps à
l’esprit à une problématique du cerveau et de la pensée. Au cœur de ce
questionnement, ainsi que le révèle dans la fiction romanesque le personnage du
Quichotte, il y a la promotion de la faculté de l’imagination comme puissance
dominante de la partie intellective de l’âme, supplantant la fonction directrice
antérieurement accordée à la volonté. Il en résulte une marginalisation de la
volonté par la théorie physiologique des humeurs corporelles qui induit un
conditionnement des aptitudes spirituelles de l’individu. Néanmoins, le
dérèglement mental de don Quichotte n’implique pas pour autant l’absence de
tout jugement ; ainsi, il peut avoir conscience de ses débordements tout
en ne déviant pas de l’obsession qui le guide. Son excès imaginatif est en fin
de compte secondé par sa volonté. C’est précisément ce que confirme la position
du héros de Cervantès qui érige sa folie en affirmation de sa liberté absolue[32]. Faut-il y voir un retournement
de la liberté contre elle-même dans la décision de devenir aliéné mental sans
raison ? Comment l’intellect humain ne se trouverait-il pas désarmé face à
ce désir conscient et volontaire de consacrer son existence au dérèglement
mental ? Cervantès à la manière d’Érasme présente également la folie comme
un degré supérieur de conscience impliquant un choix lucide de dépassement de
soi. L’excès imaginatif n’exclut pas la maîtrise de l’imagination comme le
révèle, par une mise en abime, la technique de création romanesque,
c’est-à-dire pour Cervantès de la diversification indéfinie des points de vue
narratif. La liberté que manifeste un tel excès signifie pour le héros une
possibilité toujours déjà offerte à l’existence : le choix de sa destinée
auquel l’acte de création romanesque fait écho et que l’œuvre d’art porte à son
acmé. Il y a, dès lors, un refus de réduire l’imagination à une perspective
épistémologique de la vérité et de la fausseté pour la promouvoir comme une
aptitude à se dépasser soit par l’acte héroïque pour le héros, soit par la
création artistique et, par là même, les ériger en moyens de perfectionnement
possible de la condition humaine.
Toute la difficulté consistera
dans cette optique à expliciter dans quelle mesure la sphère de l’intellect est
conditionnée par la sphère physiologique et de savoir si l’intelligibilité
d’une telle interaction est accessible à ce même intellect. Comment en étant
conditionné physiologiquement si l’on considère le personnage de don Quichotte,
peut-on encore demeurer un sujet moral, un sujet pour lequel la morale peut
encore avoir du sens ? Ou faut-il dire qu’une telle connaissance physiologique
permet en fin de compte de reformuler la question de la morale et de son
fondement ?
Ainsi, selon la thèse de Huarte
de San Juan, il convient de redéfinir la tripartition des facultés de l’âme
afin de circonscrire l’humain. La mémoire est identifiable à une faculté
passive dont la fonction est réductible à la réception et à la conservation des
images des choses ; sans ces opérations, l’intellect ne pourrait être
créatif car il serait dépourvu d’un contenu et d’une matière. Quant à l’imagination,
elle engendre les images des choses en extrayant des cinq sens internes les
formes provenant du monde extérieur ; elle retranscrit ce dernier dans la
mémoire. Les opérations de l’entendement requièrent ces images ; il
appartient à l’imagination de tenir à disposition de l’entendement les contenus
mémorisés pour les présentifier à l’intellect. C’est précisément en ce sens que
l’imagination est promue en tant que principe directeur ordonnant l’âme humaine
même si – au prix d’une ambiguïté persistante dans la question de l’autonomie
accordée aux facultés humaines − l’entendement, en tant que puissance
rationnelle, exerce sa suprématie sur les autres facultés. En effet, les
opérations de l’entendement sont au nombre de trois : distinguer, inférer
et choisir, correspondant respectivement à la conceptualisation, au
raisonnement et à la prise de décision. Or, cette dernière activité est
traditionnellement dévolue à la volonté. L’acte volontaire n’en demeure pas
moins pour Huarte de San Juan comme devant être éclairé par l’entendement car
il permet de savoir pourquoi on choisit ce que l’on choisit. Loin de s’opposer
à l’exercice du vouloir, l’entendement en constitue la condition car celui qui
choisit sans savoir, comme le héros de Cervantès, ne peut se prétendre l’auteur
de son choix et en être véritablement responsable. L’entendement éclaire le
choix sans lui faire obstacle ; c’est la déficience du premier qui
perturbe l’exercice du vouloir. Il convient d’avoir toujours à l’esprit pour
Huarte de San Juan, l’axiome de Galien selon lequel « l’entendement ne
sait pas de quelle manière on peut faire le mal : il n’est que droiture,
justice, simplicité et clarté. »[33]
Il résulte de la détermination des opérations
propres aux trois facultés de l’âme une théorie psychologique et éducative qui
n’est pas sans conséquences anthropologiques et politiques, mais aussi dans la
hiérarchisation des savoirs[34]. Ces facultés requièrent
un tempérament adéquat afin d’exercer aisément leurs opérations. Une société
sera comprise comme une interaction entre des tempéraments, que ce soit dans
une logique de la complémentarité ou de l’opposition. Et si l’on considère,
dans cette perspective, la cause finale de la loi, elle consiste à
« régler la vie de l’homme en lui montrant ce qu’il doit faire et ce qu’il
doit éviter pour que, dans la mesure où il saura raison garder, la nation se
conserve en paix. »[35] La loi est l’expression
dans l’ordre politique d’un travail interminable de recherche d’unification de
ce qui est désaccordé, elle procède à une thérapie du corps collectif tout
comme le médecin recherche pour la santé l’équilibre du corps individuel. Il
n’en reste pas moins que « l’art de gouverner relève de l’imagination, et
non de l’entendement ou de la mémoire. »[36] En effet, la société politique
pour être structurée, conformément à la logique des tempéraments, implique que
chaque individualité doit être à sa place afin que l’harmonie du tout soit
effective ; cela ne peut être que le résultat d’une imagination créatrice
sans laquelle la représentation, la recherche de l’harmonie et de la
proportion, seraient vouées à l’échec. Par conséquent, l’organisation et la
pratique politique ne peuvent être dissociées de l’éducation des tempéraments
afin d’en tirer le meilleur parti possible. L’imagination en tant que faculté
spirituelle apparaît comme étant à la mesure de l’homme, c’est-à-dire apte à
participer dans la production du savoir à la détermination de la structure du
monde ; comprendre l’harmonie du monde est rendu possible tant par l’ordre
donné par la raison que par le pouvoir de structuration de l’imagination.
Du point de vue de l’organisation
des savoirs, la grammaire, la jurisprudence, l’arithmétique ou la théologie
positive sont régies par la mémoire. La médecine, la dialectique, la philosophie
naturelle et morale sont du ressort de l’entendement, alors que la poésie, la
musique, la peinture, les mathématiques, la pratique de la médecine et
l’exercice du pouvoir renvoient à l’imagination[37]. Ainsi, cette dernière associée
à l’humeur chaude, engendre chez l’individu des réactions comme l’intuition, la
perspicacité, l’ingéniosité concernant tout aussi bien la sphère théorique que
le domaine pratique. Cette hiérarchisation fait écho dans la théorie
psychophysiologique évoquée par Huarte de San Juan, à une classification des
types d’intelligence exprimant des niveaux d’aptitude. Par là sera légitimée
une dissymétrie dans la division sociale du travail et les responsabilités
politiques qui en découlent. Il y a d’abord les esprits susceptibles de comprendre
ce qui est clair et aisé, puis ceux qui peuvent s’élever à des questions plus
complexes, mais qui ne peuvent progresser sans l’aide de maîtres, et enfin ceux
qui, à un troisième niveau, ont accédé à une pensée autonome et créatrice.
Néanmoins, la faculté rationnelle
s’impose par son pouvoir directeur sur les deux autres facultés de l’âme ;
de cette affirmation classique, il n’en découle pas pour autant des
conséquences similaires à celles défendues par la tradition. En effet, bien des
pratiques humaines, sociales, techniques, scientifiques et culturelles, ne
peuvent prétendre à un quelconque progrès que par l’imagination, identifiable,
par là même, à une puissance dont la forme emblématique pour Cervantès est
précisément la création romanesque. Or, la fiction romanesque non seulement
chez Cervantès fait ressentir au lecteur son pouvoir de dérèglement dans
l’esprit de son héros − qui a pour cause la lecture obsessionnelle de romans de
chevalerie, la mémoire et le tempérament − mais également son influence sur les
limites de la maîtrise de ce même lecteur concernant l’emportement de son
imagination. On ne peut néanmoins rendre raison pour Cervantès des débordements
imaginatifs de son héros en se référant à la physiologie du tempérament
colérique, ou en invoquant le poids du conditionnement culturel et en les
érigeant en puissances de domination sur la conscience.
Il y a chez don Quichotte un
paradoxe dans la relation établie entre le fait d’imaginer et de voir. Tout se
passe comme si la fiction procédait à une marginalisation de la perception en
la rendant inutile pour engendrer une surreprésentation des choses.
L’imagination au moyen de la fiction excède la perception ordinaire pour
recomposer la réalité selon une visée référentielle conditionnée par les
humeurs. Dans l’imagination, on est confronté à une vision interne, celle de
l’esprit, et une vision externe, physiologique, celle de l’œil. La fiction fait
précisément apparaître l’imagination comme un supplément de la perception. Si
l’on considère le dérèglement de l’esprit du héros de Cervantès, il provient du
fait que l’ordre de la représentation est assimilé à une présence effective.
Une première lecture consiste à y voir la prégnance du faux, au-delà de la
sensation propre aux sens externes, tout comme une deuxième lecture suppose de
dissocier la fantaisie déréglée de l’imagination dont la puissance spécifique,
à partir de la création romanesque, implique une mise entre parenthèses de ce
qui est naturellement donné pour produire une description renouvelée du monde.
Telle est, en ce sens, la fonction de la fiction romanesque qui exprime la
puissance de viser indirectement la réalité, c’est-à-dire de la circonscrire
dans la refondation d’un processus de description ; elle représente ce
qui, sans elle, ne se présenterait précisément pas ; elle inverse le
rapport du visible et de l’invisible, tout comme celui du signifiant et du
représenté. Elle permet de déréaliser l’immédiateté de la présence pour
conférer à l’absence l’illusion reconnue comme telle d’une présence. En ce
sens, la fiction romanesque est de l’ordre de la représentation engendrant une
vision imaginaire ayant valeur d’une présence tant dans l’esprit du héros que
de celui du lecteur.
Il existe précisément à partir de
ces observations un point de convergence entre la perspective de Cervantès et
celle de Suárez. En effet, selon ce dernier, il est nécessaire à une
compréhension de l’homme de déterminer si la connaissance de notre entendement
dépend de la connaissance de notre imagination[38]. Néanmoins, la réponse
suarézienne demeure fidèle – contrairement à Cervantès − à l’héritage
aristotélicien selon lequel l’entendement ne saurait dépendre de l’imagination[39]. Trois raisons permettent de le
confirmer. 1°) L’entendement est une faculté ayant une plus grande perfection
que l’imagination car elle possède par soi les capacités et la lumière
nécessaire pour produire des effets et agir[40]. Cette autonomie résulte de
l’accès à la connaissance rendant possible l’action de l’entendement sans
recourir à une impulsion extérieure. 2°) L’entendement est en mesure de
comprendre une multiplicité de choses dont l’imagination ne produit aucune
représentation, comme le révèle l’accès qui lui est spécifique, à la sphère
spirituelle. 3°) Enfin, s’il y avait dépendance, l’action de l’entendement
serait entravée par sa liaison aux sens externes, alors même que l’existence
des êtres de raison en logique et en mathématiques prouve qu’il n’en est rien[41]. L’entendement est en mesure de
produire une connaissance qui ne doit rien aux sens externes.
À partir
de ce privilège accordé à l’entendement sur l’imagination, deux déterminations
de l’acte de connaître en découlent pour Suárez :
connaître revient à appréhender l’étant ou à l’assimiler vitalement ; soit
la présence de l’étant est la cause du connaître, soit elle s’avère
insuffisante et exige sa représentation selon un processus vital puisqu’on ne
peut faire l’économie, par exemple, de la médiation de la tendance naturelle à
vouloir comprendre et des habitus, ce
qui est précisément confirmé par la définition de l’humain comme composé d’un
corps et d’une âme. Il devient alors impératif de se donner les moyens de
reformuler, en référant la connaissance à un principe d’opération vitale, le
statut de la puissance cognitive et le rapport qu’elle implique à la réalité.
Une telle puissance requiert une prédisposition des organes vitaux et suppose
par conséquent un socle pré-cognitif à l’acte cognitif. Les sens considérés en
tant qu’organes végétatifs sont assujettis au système végétatif et en tant
qu’organes sensibles, aux lois du système nerveux central[42].
Ainsi, l’imagination peut, occasionnellement, manifester ce moment où le corps
agit sur l’esprit en produisant des maladies mentales comme la perte d’esprit,
le délire frénétique, la démence ou l’apoplexie. Et dans la connaissance par
l’entendement, il apparaît également que les puissances intellectives et
sensitives s’accordent dans la raison de connaître[43],
l’homme ne pouvant échapper à son statut d’être composé. En ce sens, que l’on
considère l’entendement ou l’imagination, on est amené à reconnaître qu’il y a
une dimension vitale inhérente à l’acte de connaître et à celui de former des
images ; l’âme, forme du corps, par ses effets, exprime un dynamisme
intrinsèque et le principe dynamique de toute activité humaine en tant que
principe d’opération vitale[44].
L’âme est principe de l’humain et, par là même, manifestation de la vie et
principe de l’action[45].
Ainsi, il devient possible, à
partir des opérations de l’âme – entendement,
imagination, mémoire −, de différencier clairement le corps organique structuré substantiellement
du corps inanimé et du corps artificiel. Le corps organique correspond à une
matière organisée indissociable de la vie substantielle[46].
Connaître, imaginer, mémoriser, correspondent effectivement à une opération
vitale[47] ;
et l’action vitale suppose elle-même un principe actif immédiat ; elle se
caractérise par l’immanence renvoyant à l’incarnation, ce que rappelle
précisément, à sa manière, l’imagination. Cette immanence n’équivaut pas à
l’ordre de la réflexion qui constitue une spécificité de certains êtres
vivants, elle se définit par opposition aux opérations transitives. L’opération
transitive tire sa raison d’être du fait qu’elle est produite par un principe
extrinsèque, ainsi lorsqu’on se réfère au mouvement du ciel causé par les
Intelligences[48].
Quant à l’action immanente, elle résulte d’un principe actif interne et
incorporé. Si l’on considère l’ordre végétal, il se situe, relativement à cette
perspective, sur un plan d’immanence spécifique puisque l’unité d’être que
chaque plante révèle, exprime une action immanente, signe d’une simplicité
opérationnelle, bien plutôt que d’une perfection quant au mode d’être[49].
Le végétal manifeste, en fin de compte, un passage du virtuel à l’actuel
traduisant une continuité, une hétérogénéité et une simplicité.
Cette différenciation dans le
mode d’action permet précisément d’effectuer de manière claire une distinction
ontologique entre la sphère du vivant et celle de l’inanimé[50].
Ainsi, tout ce qui est non organique ne manifeste aucune action vitale puisque
ses opérations sont transitives ; son être n’est pas tel qu’il puisse
s’accomplir dans ses actions. Les étants non organiques ne possèdent nul
principe intrinsèque actif à proprement parler, ce qui est en fait requis pour
la perfection intrinsèque de l’agent[51],
conformément à la thèse thomiste. Un corps non organique n’exerce par lui-même
aucune action ayant pour cause un principe intrinsèque, il est affecté extérieurement,
que ce soit par sa rencontre avec d’autres corps, ou bien il peut subir une
modification due à des écarts de température, tout comme il est également en
mesure par son mouvement de produire son influence sur d’autres corps. Il n’y a
là aucune opération vitale puisque cette dernière s’effectue sur un plan
d’immanence, alors que les opérations des corps inorganiques sont réalisées par
juxtaposition de parties à parties (ce qui induit que les distinctions
extrinsèques introduites par l’espace renvoient à l’ordre de l’homogène et du
discontinu) ; on est par là même également amené à dire que les opérations
de ces derniers supposent la médiation de propriétés matérielles ou naturelles.
Cela implique enfin que, quelle que soit leur activité, elle s’exerce par la
médiation du corps et elle est reçue dans le corps. Ainsi : « La matière limite et contraint la chose,
tandis que l’immatérialité cause indétermination, universalité et indépendance »[52].
La considération dans les corps
organiques de chacun des stades de leur développement révèle que ces derniers
sont essentiels à leur intelligibilité[53].
Par opposition, les corps inorganiques impliquent une proximité et une
homogénéité entre l’agent et le patient de telle sorte qu’ils n’accèdent à un
état naturel dans lequel ils perdurent de manière accidentelle ; on peut
ainsi dire que tout est actuel dans l’inorganique ou simultanément donné. En
fait, les différents stades par lesquels ils passent ne sont en rien
nécessaires, contrairement à l’ordre vital, à la perfection de leur être ;
ils sont divisibles et ils ne changent pas de nature en se divisant. S’il y a
division, elle sera par différence de degré. L’inorganique se caractérise par
conséquent par la conformité réciproque du divisé avec les divisions, du nombre
et de l’unité ; il renvoie par là même à une multiplicité numérique.
Les corps inorganiques n’ont
également aucun terme vital ni durée déterminée et ne peuvent par conséquent
prétendre à aucune continuité et à aucune hétérogénéité. Le corps organique est
indissociable d’une durée qui a le privilège de présenter une succession
purement interne sans extériorité, alors que le corps inorganique se réduit à
une extériorité sans succession. L’inorganique est à comprendre à partir de
l’espace en tant que multiplicité d’extériorité, de juxtaposition, d’ordre, de
différenciation quantitative, de différence de degré renvoyant à une
multiplicité numérique discontinue. La structure vitale de l’organisme
implique, quant à elle, une multiplicité interne, de succession,
d’organisation, d’hétérogénéité, de discrimination qualitative ou de différence
de nature. Si l’on considère la durée vitale en se référant par exemple au
végétal, elle change de nature en se divisant et constitue ainsi une
multiplicité non numérique ; elle implique l’altérité sans induire une
pluralité numérique. Le corps organique correspond au virtuel en tant qu’il
s’actualise et qui est par là même inséparable du processus de son
actualisation. En fait l’actualisation du vivant s’effectue par différenciation,
par lignes divergentes, confirmant par là même l’impossibilité de confondre
l’être avec l’être-présent, ce que confirment pour l’homme l’imagination et la
mémoire. Par opposition, dans la multiplicité numérique à laquelle renvoie
l’inorganique, tout est actuel, non au sens où tout serait accompli, mais au
sens où il n’y a de lien qu’entre ce qui est actuel, la différence pensée ne
pouvant être que de degré.
Lorsqu’on se réfère au processus
spécifique de la vie dans le corps organique, on est ramené à une virtualité en
voie d’actualisation, à une simplicité en voie de différenciation, à une
totalité en voie de se diviser ; l’essence de la vie dans le corps
organique consiste à procéder par dissociation et dédoublement. Ainsi, la vie
s’incarne dans l’ordre végétal et l’ordre animal se subdivise en étant dépourvu
de raison et en étant raisonnable extériorisant respectivement des tendances
appétitives ; la manifestation de ces dernières se divise également en
diverses directions qui s’actualisent dans des espèces diverses. La raison
elle-même possède ses formes spécifiques d’actualisation comme le montre la
diversité culturelle et historique. La hiérarchisation des étants dans l’ordre
de la création devient plus claire et mieux perceptible à partir du moment où
le processus vital est identifiable au mouvement même de la différenciation
dans des séries subdivisées ou ramifiées[54].
Il n’en reste pas moins que cette différenciation implique l'actualisation
d'une unité ontologique, celle de l’étant qui se dissocie d’après des lignes de
différenciation, tout en témoignant néanmoins de l’unité de la création. Ainsi
la division du processus vital en plante et animal, de l’animalité en appétit
et intelligence, ne peut masquer que chaque subdivision porte en elle selon un
certain point de vue la totalité de la création, témoignant par là même de son
origine indivise. En ce sens, il y a une part d’instinct dans l’intelligence et
un soupçon d’intelligence dans l’instinct, tout comme il y a une partie d’animé
dans le végétatif et des fragments de végétatif chez l’animal. La
différenciation par le processus vital implique l’actualisation d’une
virtualité subsistant à travers ses phases divergentes actuelles[55].
Il est possible à ce titre d’invoquer la superposition progressive de niveaux
impliquant d’une certaine manière la dépendance de chaque niveau supérieur par
rapport à l’inférieur et la conservation de tout l’inférieur au niveau
supérieur par laquelle l’intelligence elle-même, en fin de compte, est
nécessairement conduite à reconnaître un principe qui la dépasse. L’imagination
constitue un moment dans ce processus d’élévation.
Il apparaît que le mouvement
vital comme actualisation d’un possible ayant pour règle la divergence et la
création dont l’imagination est un moment, est pour Suárez le
résultat de trois facteurs : la connaissance, l’appétit et les membres
moteurs. Il est possible à partir de là de produire une description des divers
types de conduite : instinctive, expérimentale, intelligente et libre. Ces
divers types d’opérations rappellent également qu’il arrive un moment où les
activités des êtres vivants ne sont plus en mesure de se réaliser, ce qui
correspond à la mort. Cette dernière équivaut à la cessation ou à la récession
d’un principe conférant aux êtres vivants la capacité de se mouvoir. Quant à la
vie, elle se distingue par la variété de ses manifestations. On dira qu’en Dieu
l’être et la vie se confondent. Concernant l’homme, on n’est pas seulement
renvoyé à une composition métaphysique de l’acte et de la puissance, mais
également à une composition physique du corps et de l’âme d’où résulte la
puissance spécifique de l’imagination. Dans cette composition humaine, Suárez
distingue la vie substantielle et la vie accidentelle qui est constitutive de
l’activité de l’âme par la médiation des sens. Si l’on envisage les sens en
tant qu’organes végétatifs, ils sont assujettis aux lois du système végétatif,
et si on les considère en tant qu’organes sensibles, ils sont subordonnés au
système nerveux central.
L’interaction des organes entre
eux montre par conséquent dans le processus vital qu’un organisme est une
individualité centrée sur elle-même, un étant pour soi confirmant une
séparation entre le dedans et le dehors tout en se fondant sur un échange
permanent avec ce qui n’est pas lui ; c’est ce qui advient avec la
nutrition[56], la
chaleur[57],
l’humidité et la génération[58].
Avec la vie, il y a présence au monde d’une identité interne qui implique son
propre isolement du reste de la réalité. Le principe d’individuation de
l’organisme induit une singularité et une hétérogénéité radicales au cœur d’un
ensemble d’étants subordonnés selon une modalité homogène à l’échange. On peut
dire, en ce sens, que l’identité à soi pour l’organisme implique un perpétuel
renouvellement de soi par la médiation d’un processus. Cette identité à soi,
pur attribut logique dont l’expression équivaut à une tautologie chez l’étant
inorganique, représente pour le corps organique la réalisation de sa propre
fonction en opposition à l’altérité radicale de la matière. La mort rappelle
par conséquent que l’identité du corps organique se fait d’instant en instant,
qu’elle se réaffirme en permanence et implique une conquête sur les forces
extérieures physiques, traduisant par là même une tension incessante avec la
totalité des étants.
Ainsi que le montre le processus
d’interaction des organismes, afin d’être en mesure d’échanger de la matière
comme, par exemple, dans la nutrition, un corps vivant doit en avoir à sa
disposition et il la trouve en dehors de lui dans l’extériorité du monde. Il
apparaît en ce sens que le corps organique est orienté vers le monde dans une
relation spécifique d’assujettissement et de pouvoir ; pour l’homme,
l’imagination est par exemple à la fois source d’illusion et d’aliénation comme
puissance de création et de transformation. La lutte active dans l’acquisition
de la matière dont le corps a besoin est assimilable à une ouverture pour la
rencontre de la réalité extérieure. L’organisme corporel subordonné au monde
par le besoin est précisément dirigé vers lui ; et ce rapport est porteur
d’expérience car l’activité interne qu’il manifeste pour s’alimenter, institue
une rencontre permanente par laquelle sont actualisées la possibilité
d’expérience et l’appréhension sensible du monde qui en découle. L’insistance
de l’analyse suarézienne sur la question de la nutrition révèle la présence du
monde comme horizon manifestée par la nécessité du manque ; l’imagination
est également comme une réponse à ce dernier. Par là, on constate la rupture de
l’isolement de l’identité interne du corps organique du fait de l’ouverture à
la sphère d’un cercle de relations vitales auxquelles répondent l’entendement,
l’imagination et la mémoire. Dès lors, l’étude de la cause efficiente
extrinsèque et intrinsèque de la mort permet a contrario à Suárez de révéler le
mouvement de transcendance propre à la vie. Cette dernière se transcende en
allant au-delà d’elle-même et en étendant sa manifestation au monde. Pour
l’organisme vivant, la faculté d’avoir une relation au monde et donc un mode
d’être et un comportement, fait apparaître en l’homme qui est doué de raison,
la possibilité d’une liberté se rendant maître de sa propre nécessité. En ce
sens, tout organisme vivant exprime, conformément au principe de la hiérarchie
ontologique des étants, une intériorité qui marque de son sceau les rencontres
s’effectuant dans son espace. Cette intériorité indissociable du sentir et de
la stimulation extérieure traduit l’effort permanent de l’organisme pour la
conservation de sa propre existence et sa prolongation durable. C’est aussi ce
à quoi contribuent selon leur puissance et leurs effets respectifs,
l’entendement, l’imagination, la mémoire et la volonté.
III. Conséquences ontologiques et éthiques du rapport
spiritualisé du corps à lui-même
La question de la vie et de ses
manifestations qui est, par conséquent, au cœur de la relation entre l’âme et
le corps comme trait universel de la condition humaine, est le signe d’un
rapport à la naturalité qui a pour Cervantès et Suárez des enjeux éthiques dont
la loi naturelle constitue une illustration emblématique. Si l’on n’est pas en
mesure de proposer théoriquement une intelligibilité satisfaisante d’une telle
relation, il est en revanche possible d’en expliciter les conséquences
pratiques pour le mode d’être humain.
Par conséquent, la difficulté de
l’interprétation et de la compréhension de l’interaction entre l’âme et le
corps et du statut à accorder aux différentes facultés humaines ne sauraient
passer sous silence, quelles que soient les tentatives de réponses proposées
par les deux auteurs, les implications pratiques et morales qui y sont
nécessairement rattachées. La référence à la loi naturelle en constitue un exemple
significatif. En effet, évoquer une loi naturelle revient à prendre en charge,
du point de vue pratique, l’être humain comme esprit incarné et corps
spiritualisé ; la loi naturelle s’impose comme norme intériorisée de
moralité, comme une règle intérieure objective. Non seulement une telle règle
est universelle parce qu’elle est enracinée dans la nature commune à l’ensemble
des hommes, mais elle est aussi ce qui individualise chacun d’eux par
l’intériorité de la conscience morale. Suárez identifie la loi naturelle à
celle qui existe « dans l’esprit humain pour discerner le bien du
mal. »[59] Elle est une loi
éthique, puissance de détermination de ce qui est conforme à la nature humaine
et moment où la volonté se décide librement pour accomplir le bien ; l’héroïsme
pour don Quichotte est précisément un moment décisif de la réalisation des
principes de la loi naturelle quels que soient les dangers et les
circonstances ; c’est le moment où la force de l’âme et la puissance de la
volonté peuvent l’emporter sur les obstacles de la matière et les faiblesses du
corps. Avec la loi naturelle, l’agir moral suppose la participation de la
raison comme source du sens de toute action humaine ; c’est en ce sens que
la naturalité est en mesure d’exprimer la nature rationnelle de l’homme et la
possibilité qui lui est offerte de ne pas être purement et simplement
assujettie aux inclinations corporelles. Les conséquences sont à la fois
anthropologiques et politiques car « celui qui ne sait pas se gouverner
lui-même, saura-t-il gouverner les autres ? »[60]
La loi naturelle chez Cervantès
synthétise ce qui est spécifique à la nature humaine elle-même : l’amour
de Dieu, aimer son prochain comme soi-même, la conservation de son être et de
l’espèce, le perfectionnement individuel et social comme objectif du bien
commun. Son effectivité, ancrée dans la nature humaine, s’exprime par des
jugements de valeur orientant l’action par la raison naturelle afin de
déterminer ce qui est ou non conforme à l’humain. La loi naturelle est gravée dans
le cœur de chaque homme pour lui commander ce qu’il convient de faire et ce
dont il doit s’abstenir ; dès lors, l’homme doit être libre pour se
conformer à ce commandement sans contraintes extérieures. L’homme bénéficie,
pour ce faire, de la lumière naturelle grâce à laquelle il est en mesure de
rendre son comportement adéquat à la raison. Par là même, Cervantès pose la
liberté comme condition de l’accomplissement de l’humain en l’homme et la
servitude – qu’elle soit due aux passions ou à la contrainte extérieure − comme
le plus grand des maux; et ce sont les obstacles qu’il faut surmonter dans
l’exercice de cette même liberté qui rendent concevable, pour Cervantès, un
comportement vertueux. Ainsi, l’héroïsme pour don Quichotte implique la
transcendance des raisons de vivre sur la vie elle-même, le fait de risquer sa
vie pour préserver sa liberté sans laquelle il ne peut y avoir de dignité.
L’amour en est également une confirmation tout aussi romanesque que
philosophique. Il faut distinguer pour Cervantès l’impulsion sexuelle liée à la
passion, expression de l’appétit de l’amour comme don spirituel. Si l’appétit
n’a pas d’autre fin que le plaisir et disparaît progressivement avec sa
satisfaction, l’amour véritable est celui qui excède les limites imposées par
la nature au corps humain ; il est nécessaire que ce dernier soit libre,
volontaire et non contraint, comme une exception échappant aux conditionnements
des humeurs. Il subsiste toujours pour Cervantès, ainsi que le confirme le
droit naturel de choisir sa vie, une liberté et une responsabilité concernant
le développement et le perfectionnement de sa propre existence. Dès lors, la
vertu ne peut avoir de valeur qu’en tant que choix libre émanant de la
volonté ; la morale est en ce sens l’expression d’un vouloir et non plus
la manifestation d’un savoir.
Il y a, sur ce dernier point,
convergence entre la position de Cervantès et celle de Suárez. Pour ce dernier,
la loi naturelle en obligeant l’action à réaliser la nature humaine, confère à
l’homme un droit naturel à tout ce qui est indispensable pour satisfaire à son
obligation. Par là même, le droit naturel permet d’accomplir ce qui est
nécessaire pour que la nature humaine soit en mesure de devenir effective dans
la pratique et pour une existence humaine. Dès lors, l’homme se conformant à
l’obligation de la loi naturelle, agit selon son droit. Cela a pour conséquence
que le droit naturel est un droit constitutif de toute existence pour incarner
un mode d’être qui ne soit pas en opposition avec sa nature et qui lui soit
conforme en acte. La nature de l’homme à laquelle renvoie la loi naturelle
correspond à la nature raisonnable englobant sa relation à la totalité du monde
et à Dieu. Il n’est pas par là même pertinent d’invoquer une séparation entre
la raison et la nature humaine ramenée au lien naturel se manifestant dans les
besoins et les instincts. La rectitude et la bonté des actions exigent leur
ordonnancement à la nature de l’homme considérée comme un tout. Alors que les
actions des autres êtres vivants sont dirigées par la nature vers une fin que
cette dernière a établie, l’âme, à la différence des fonctions matérielles, a
le pouvoir de choisir parmi un ensemble de possibilités, sans être déterminée à
aucune d’entre elles par sa spécificité. La loi naturelle a précisément pour
objectif d’orienter l’homme vers les actions bonnes en soi ayant le pouvoir de
correspondre à ce que la nature de l’homme commande. Il apparaît ainsi que
l’accomplissement de la nature humaine a pour fondement non une nécessité naturelle
comme dans le cas des autres êtres vivants dépourvus de raison, mais une
obligation par laquelle notre nature nous conduit à réaliser cette nature par
nos actes libres et à suivre le but qu’elle fixe.
Or, la liberté de la volonté que
présuppose la question éthique de la loi naturelle chez Cervantès et Suárez,
fait également écho, sur le plan théorique, à la liberté manifestée par
l’imagination créatrice par la fiction romanesque dans le Quichotte et par la
création propre aux êtres de raison dans l’ordre de la connaissance dans les Disputes
métaphysiques. L’être de raison s’apparente en effet, chez Suárez, à une
fiction dans le sens où il représente une pure production de l’intellect
dépourvue d’effectivité réelle. Les êtres de raison n’ont ni existence réelle,
ni véritable ressemblance avec les étants réels ; ils sont identifiables à
des « apparences d’étant »[61], ce qui signifie qu’ils
n’ont pas d’intelligibilité en soi mais relativement à une analogie avec les
étants réels. L’être de raison qui se définit par son caractère fictif ou
apparent a pour principe d’intelligibilité « ce qui est
véritablement. »[62] En ce sens, un être est
de raison quand il est posé par la raison comme n’ayant d’être réel et positif
que parce qu’il ne peut être dissocié de l’intellect qui le pense. Par
conséquent, il a un être objectif par la raison. Ainsi, pour Suárez, être
objectivement dans l’intellect ou être pensé comme étant sans avoir par soi
d’entité, constituent les propriétés spécifiques de tout être de raison. Dès lors
la chimère comprise dans son impossibilité, ne tire la source de son être que
du fait d’être pensée.
Dans cette optique, le propre de
l’imagination consiste à inventer des étants qui n’ont aucun être dans la
réalité et dont l’être même serait contradictoire[63]. Un tel non-être découle de la
composition d’étants eux-mêmes objets d’une expérience possible, ainsi le
bouc-cerf, association d’animaux bien réels, mentionné par Aristote[64]. L’être de raison, dans ce cas,
est identifiable à une chimère, c’est-à-dire à un étant qui n’existe pas
actuellement et dont l’existence est impossible. Néanmoins, imaginer une
montagne d’or renvoie à l’élaboration d’un étant qui n’existe pas actuellement
tout en demeurant de l’ordre du possible. L’imagination implique un pouvoir
spécifique : celui d’une composition d’espèces simples à partir d’une
image comprenant ce qui est représenté au moyen de fantasmes (productions
mentales) et celui d’associer des étants n’induisant pas de contradiction. En
ce sens, les êtres de raison produits par l’imagination leur confère une
extension supérieure à celle attribuée à l’étant possible. L’être de raison et
la fiction romanesque révèlent que le langage de l’imagination exprime le
pouvoir de faire être ce qu’il dit afin de dégager l’intellect de sa limitation
au réel et au possible. Par là même, il apparaît que les êtres de raison ont
pour fondement dans la réalité la capacité à combiner des étants qu’il est
impossible d’associer dans le réel. On peut alors parler d’une participation de
l’imagination à l’extension des pouvoirs de la raison[65].
Du point de vue de la
connaissance, l’interrogation sur les êtres de raison ouvre la voie pour Suárez
à une différenciation claire entre une fonction logique et une fonction
existentielle du verbe « être ». Poser des êtres de raison ne
signifie pas qu’ils existent dans la réalité, bien plutôt qu’ils résultent
d’une production logique de l’intellect qui peut également avoir des incidences
et des applications dans l’ordre de la réalité comme le montrent les principes
de la logique et des mathématiques. On échappe à l’aliénation dénoncée par la
condamnation classique de l’imagination, dès lors que l’on a établi que poser
un être de raison implique, contrairement à la proposition existentielle, que
l’on reconnaisse du point de vue logique l’inexistence de ce qui est
posé ; telle est aussi la stratégie de la fiction romanesque explicitée
par Cervantès. Il apparaît donc que l’intellect humain a le pouvoir de faire
abstraction de l’existence comme fait brut pour engendrer une forme d’être à
partir de l’inexistant. Ainsi, afin de légitimer l’usage des êtres de raison,
il est nécessaire d’en déterminer la formation et d’expliciter les
circonstances opportunes à leur emploi. La création des êtres de raison résulte
de l’exigence intellectuelle d’accéder à la connaissance de principes
explicatifs de la relation entre les étants réels. C’est ce que révèle
l’élaboration d’une conceptualisation de la négation ou de la privation issue
d’une opération de l’intellect qui a pour conséquence la production d’un
nouveau mode d’être, celui des êtres de raison. L’intellect engendre par la
médiation du langage des relations de raison qui font office de substituts en
l’absence de relation réelle. L’être de raison possède dès lors une fonction
cognitive qui procède à une extension logique du champ du savoir.
La fiction romanesque traduit,
quant à elle, dans le Quichotte, non seulement une mise en abime entre les vies
réelles et les vies imaginaires, mais confère également un moyen de rendre, par
l’imaginaire, plus supportable ce que peut avoir de pénible l’expérience de
l’existence. La représentation des actions humaines sur le plan de la fiction
possède une vertu analogue pour Cervantès à la vertu cathartique
aristotélicienne propre au théâtre tragique impliquant une empathie
identificatrice du spectateur avec les passions mises en scène.
L’identification résultant d’une emprise de l’imaginaire fictionnel sur le
psychisme des lecteurs permet chez Cervantès de vivre par procuration une deuxième
vie source de plaisir. La fiction rappelle par la parole de l’aubergiste du
Quichotte[66] que nous ne pouvons nous
satisfaire de la vie qui est la nôtre et que nous désirons vivre dans et par la
représentation des autres une existence imaginaire qui ne peut manquer de nous
condamner au paraître. La fiction a pour fonction de substituer, momentanément,
par identification, au caractère misérable du moi, une image de qualités que
l’on possèderait et qui emporterait l’approbation de tous. L’affranchissement
provisoire des frontières entre l’illusion et le réel exprime par conséquent
une exigence existentielle d’autant plus légitime qu’elle s’accompagne d’une
claire conscience de l’écart persistant entre vie réelle et vie imaginée[67]. Jamais l’aubergiste ne
prétendra comme don Quichotte reproduire par son action présente les exploits
imaginaires des héros de chevalerie[68] ; il se dépossède
provisoirement de lui-même afin de mieux se supporter au quotidien.
En ce sens, Cervantès
retrouverait par anticipation, en se démarquant partiellement de l’héritage
aristotélicien de la purgation des passions, le processus de distanciation
évoqué par Brecht[69]. Il y a également dans
la fiction un effet de rupture assumé avec l’identification. Cervantès instaure
par son ironie une attitude de distance critique équivalant à un effet
d’éloignement traduisant une exigence de maîtrise. L’attitude approbatrice du
lecteur ne signifie pas que l’on abdique son désir naturel de savoir et sa
volonté de comprendre la causalité présidant à l’action humaine, savoir
pourquoi les actions des hommes ne peuvent être que ce qu’elles sont, tout en
pouvant précisément être autres. Si la théorie des humeurs donne l’impression
rétrospective d’un destin tracé, cela entre également en contradiction dans
l’analyse de la fiction romanesque par Cervantès, avec le sentiment présent de
la contingence. Il appartenait précisément au roman, forme d’art et miroir du
monde, de créer les conditions intellectuelles pour le dépasser.
Le parallèle entre deux figures
contemporaines de la pensée du Siècle d’Or à partir de la question de la
relation entre l’âme et le corps et du statut spécifique variable accordé aux
facultés humaines comme l’entendement, la mémoire, l’imagination et la volonté,
permet de mettre à jour une vision anthropologique modifiée par un regard
tourné vers l’intérieur, un regard de la proximité, c’est-à-dire d’une pensée
inscrite dans la chair, promouvant la sphère du physiologique, du vivant, et
identifiant le cerveau à un organe vivant relié à un corps, indissociable d’un
environnement sur lequel il agit. L’incarnation est une figure de l’humain qui
ne peut plus se réduire au théologique, pas plus que le corps ne saurait se
réduire à un mode déterminé de l’existence humaine uniquement spécifié par la
possibilité de la perdition et de la chute. L’incarnation signifie que le corps
n’est plus purement et simplement identifiable à un corps objectif équivalant à
une chose parmi d’autres, elle ouvre la voie à une identification possible
entre la chair et l’esprit comme le traduit, par exemple, tant chez Cervantès
que chez Suárez, les puissances à la fois aliénantes mais aussi libératrices et
créatrices de l’imagination, préfiguration du corps subjectif ou corps propre,
prise de conscience de l’écart entre le vécu et le connu. Un chemin est tracé à
travers l’interrogation ébauchée entre le cerveau et la pensée pour expliciter
le lien entre la sphère anatomique et la sphère comportementale, entre le
descriptif physiologique et ce qui est vécu et perçu.
Il n’en reste pas moins que ce
chemin est confronté à ses propres limites ; l’articulation recherchée
comporte sa part irréductible d’inintelligibilité. Cette incompréhension est
inhérente à notre finitude, à l’imperfection de notre vie que la théorie de la connaissance
et la recherche de la vérité chez Suárez ou la création romanesque chez
Cervantès essaient de pondérer. Or, à partir du constat de cette finitude, il
est possible de dégager ainsi que l’ont établi les œuvres des deux auteurs, une
signification éthique, une visée pratique et une portée existentielle qui
caractérisent précisément l’humain. La vie de notre corps ne peut être
identifiable à celle constatée dans le monde ; elle doit prendre en charge
le phénomène irréductible de l’incarnation. En ce sens, Suárez par son
anthropologie et Cervantès, par sa fiction romanesque, ont eu le mérite
d’insister sur la nécessaire liaison de l’expérience vécue avec le champ de la
recherche scientifique sur l’humain.
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Jean-Paul Coujou
Institut Michel Villey
1
Rue d'Ulm
75005
Paris (Francia)
https://orcid.org/0000-0003-4203-2652
[1] La
périodisation du Siècle d’Or selon E. R. Curtius, La littérature européenne et le Moyen Age
latin, trad. Par J. Bréjoux (Paris: PUF, 1956, réédition Presses Pocket, 1991), 419,
s’étend de 1536 (mort de Garcilaso dela Vega) à 1681, (mort de Calderón) ;
ce siècle correspond à un moment intense de création littéraire et artistique.
[2] Miguel
de Cervantes, El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha, 27° édition
(Madrid: Espasa Calpe, 1975,); L’ingénieux Hidalgo don Quichotte de la
Manche, 2 volumes (Paris: Garnier-Flammarion, 1969, traduction par L.
Viardot).
[3] Voir
F. Braudel, La dynamique du capitalisme (Paris: Editions Arthaud, 1985) ;
La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II (Paris: Armand Colin, 1949, deuxième
édition révisée, 1966).
[4] N.
Copernic, Livre des révolutions des orbes célestes, 1543.
[5] F. Suárez, De anima, int. y ed. crítica por Salvador
Castellote, T.1, (Disp. I−II) (Madrid: Sociedad de Estudios y Publicación,
Labor, 1978), T.2 (Disp. III−VII), (1981); T.3 (Disp. VIII−XIV), (Madrid:
Fundación X. Zubiri, 1991).
[6] F.
Suárez, Disputationes metaphysicae,
en Opera Omnia, Paris: éd. Vivès, 1856-1877, désormais O. O.), volume 26, (désormais D.M.)
D. M. L, I, n. 1, 913; Ibidem,
n. 7, 915.
[7] J. Huarte de San Juan, Examen de
ingenios para las sciencias. Donde se muestra la diferencia que ay en los
hombres y el genero de letras que a cada una responde en particular (Baeza:
Juan Baptista de Montoya, 1575.) Examen des esprits pour les sciences, trad. par J.-B. Etcharren
(Biarritz: Atlantica, 2000).
[8] Suárez, De anima, T. I, Proemium, 4.
[9] Suárez,
De anima, T. I, 14.
[10] Suárez,
De anima, T. I, 18.
[11] Suárez,
De anima, T. I, 24.
[12] Suárez,
De anima, T. I.
[13] Suárez,
De anima, T. I, 46.
[14] Suárez,
De anima, T. III, Disputatio (Disp.) 1, n. 1, 14.
[15] Suárez,
De anima, T. II, Disp. 5, Q. 7, 440.
[16] Suárez, De anima, T. III, Disp. 8, Q. 2,
54.
[17] Suárez,
De anima, T. III, Disp. 8, Q. 2, 54.
[18] Suárez,
De anima, 56.
[19] Galien,
De differentiis symptomatum, in Claudii Galeni opera omnia
(Hildesheim: Editionem curavit C. G. Kühn, 19641965), cap. 3, 3° cl., f. 11v
G-H.
[20] Suárez,
De anima, T. III, D. 8, Q. 2, 56.
[21] Érasme,
Éloge de la folie, , trad. par P.
de Nolhac (Paris: GF, 1963), Ch. V, 19, par exemple.
[22] Hippocrate,
De l’art médical, trad. par E. Littré (Paris: Le Livre de Poche, 1994), II, 3, 146−150.
[23] J. Huarte de San Juan, Examen des esprits pour les
sciences, Ch. III, (édition de 1575), 88 : « Le cerveau doit
remplir quatre conditions pour que l’âme raisonnable puisse, grâce à lui,
réaliser facilement les actions qui relèvent de l’entendement et de la sagesse.
La première, c’est qu’il soit bien conformé. La deuxième, que ses éléments
constitutifs soient bien unis entre eux. La troisième, que la chaleur n’excède
pas le froid et que l’humidité ne l’emporte pas sur la sécheresse. La
quatrième, que sa substance soit formée de parties fines et délicates. »
[24] Hippocrate,
De l’art médical, II, 3, 145.
[25] Hippocrate,
De l’art médical, II, 3, 147.
[26] Huarte
de San Juan, Examen des esprits…,
98.
[27] Huarte de San Juan, Examen des esprits…, 112.
[28] Suárez,
De anima, T. III, Disp. 8, Q. 2, 58.
[29] Suárez,
De anima, T. III, Disp. 8, Q. 2, 58.
[30] F.
Valles de Covarrubias, Controversiarum medicarum et philosophicarum libri
decem … editio tertia …, (Compluti: 1583), II, CH. 23, ff. 36 sq.
[31] Thomas
d'Aquin, Somme théologique, T. I, Ia,
Q. 78−82,
édition coordonnée par A. Raulin, traduction par A. M. Roguet (Paris: Cerf, 1984-1986).
[32] Cervantès,
L’ingénieux Hidalgo don Quichotte de la Manche, Ch. XXV.
[33] Huarte
de San Juan, Examen des esprits…,
Ch. VII, 150.
[34] Huarte de San Juan, Examen des esprits…, Ch. VIII−XV.
[35] Huarte de San Juan, Examen des esprits…, Ch. XI, 216.
[36] Huarte de San Juan, Examen des esprits…, Ch. XI, 236.
[37] Huarte
de San Juan, Examen des esprits…,
Ch. VIII, (édition de 1575), 166.
[38] Suárez,
De anima, T. III, Disp. 9, Q. 7, 198.
[39] Suárez,
De anima, T. III, Disp. 9, Q. 7, n. 3, 200.
[40] Suárez,
De anima, T. III, Disp. 9, Q. 7, n. 3, 200.
[41] Suárez,
Disputationes metaphysicae, O. O., volume 26, D. M. LIV.
[42] Suárez,
De anima, T. III, Disp. VIII, Q. 2, n. 7, 54, précise par
exemple : « (…) nous disons par conséquent que l’organe du sens
interne réside dans le cerveau. Telle est la thèse de Galien et d’Hippocrate.
(…) La lésion des sens a son origine dans la lésion cérébrale ». T. II,
Disp. VII, Q. 6, n. 10, 650. Voir également : T. 1, Disp. II, Q. 3, n. 54,
246.
[43] Suárez, De anima, T. II, Disp. V,
Avant-propos, 282.
[44] Suárez, De anima, T. I, Disp. I, Q. 4, n. 11, 116: « Nous répondons
que le corps n’est pas le principe par lequel il y a premièrement vie en nous,
parce qu’il n’est pas le principe par lequel nous provoquons activement nos
opérations vitales. À partir de là, il ne s’agit pas d’un principe premier,
mais il apparaît plutôt comme un instrument de l’âme ».
[45] Suárez, De anima, T. I, Disp. I, Q. 4, n. 15, 122: « De l’axiome : « l’être
est la cause de l’agir », il semble découler que la nature tende à l’agir
avant l’être. On répond à cela que si nous prenons l’agir séparément de l’être
et l’être séparément de l’agir, c’est l’être même qui est plus important que
l’agir et c’est ce vers quoi, avant tout, tend la nature ; cependant,
étant donné que l’agir suppose l’être et l’inclut, on dit justement pour cette
raison que l’être est cause de l’agir ». Et n. 20, 120: « (…)
L’ordonnancement à l’action n’est pas la cause finale de la quiddité de l’âme,
mais elle est une fin secondaire dérivée de la fin première de l’âme qui est de
donner l’être au composé ».
[46] Suárez, De anima, T. I, Disp. I, Q. 4, n. 4, 108. Sur différentes
acceptions du corps organique, voir : Disp. I, Q. 3, n. 8, 96.
[47] Suárez,
De anima, T. II, Disp. V, Q. 4, n. 2,
350.
[48] Suárez,
De anima, T. I, Disp. I, Q. 4, n. 10, 114−116.
[49] Suárez, De anima, T. I, Disp. II, Q. 1, n. 8, 150 : « (…) Nous
pouvons dire que la variation des activités observées dans le règne végétal
procède soit d’une limitation intrinsèque ou d’un affaiblissement de sa
faculté, soit de la variation de la matière ou des causes universelles
adjuvantes ».
[50] Suárez,
De anima, T. I, Disp. II, Q. 6, n. 11, 350.
[51] Thomas
d'Aquin, Somme théologique, Ia, Q.
78.
[52] Suárez,
De anima, T. I, Disp. II, Q. 3, n. 10, 176.
[53] Voir
F. Suárez, De generatio et corruptione,
en Francisco Suárez. Der ist der Mann (Homenaje al Prof. Salvador Castellote) (Valencia: Facultad de
teología « San Vicente Ferrer », 2004), 445-682.
[54] Suárez,
De anima, T. I, Disp. II, Q. 1, n. 3, 140: « La classe des
êtres vivants est une classe supérieure à celle des êtres inanimés ».
Disp. I, Q. 2, n. 9, 158 ; Disp. II, Q. 4, n. 4, 256 : « L’homme
est par conséquent essentiellement supérieur à la bête. Et cela provient de
l’âme et de la forme ; du point de vue de la matière tous les étants sont
égaux. Donc l’âme qui constitue l’homme en son être d’homme a une nature et un
degré supérieur aux âmes des êtres dépourvus de raison. Cette âme ne peut être
autre chose que le principe rationnel ».
[55] Suárez, De anima, T. I, Disp. II, Q. 6, n. 7, 342.
[56] Suárez,
De anima, T. II, Disp. IV, Q. 3, n. 1, 178.
[57] Suárez, De anima, T. II, Disp. IV, Q. 3, n. 9, 186.
[58] Suárez, De anima, T. II, Disp. IV, Q. 4, n. 4, 194. La nutrition vise à la
conservation de l’individu qui constitue un bien particulier, alors que la
génération est ordonnée à la conservation de l’espèce qui équivaut à un bien
général.
[59] Suárez,
De Legibus, O. O., vol. 5, I, 3, n. 9, 9.
[60] Cervantès,
L’ingénieux Hidalgo…,
T. 2, Ch. XXXII, 236.
[61] Suárez,
Disputationes metaphysicae, O. O., volume 26, D. M. LIV,
Proême, n. 1, 1015.
[62] Suárez,
Disputationes metaphysicae, O. O., volume 26, D. M. LIV,
Proême, n. 1, 1015.
[63] Suárez,
Disputationes metaphysicae, O. O., volume 26, D. M. LIV,
Proême, 2, n. 17, 1023.
[64] Aristote,
De l’interprétation, trad. par J.
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[65] Suárez, Disputationes
metaphysicae, O. O., volume 26, D. M. LIV, 2, n. 18,1023-1024.
[66] Cervantès,
L’ingénieux Hidalgo…, T. I, Ch. XXXII.
[67] Cervantès,
L’ingénieux Hidalgo…, T. I, Ch. XXXII, 314−315.
[68] Cervantès,
L’ingénieux Hidalgo…, T. I, Ch. XXXII 315 : « (…) je
ne serai pas assez fou pour me faire chevalier errant. »
[69] B. Brecht, Écrits sur le théâtre. I, trad. J. Tailleur, G. Delfel, B. Perregaux
& J. Jourdheuil, (Paris: L’Arche,
1972).